Les Fables de Jean de La Fontaine
Cochon (Le) la Chèvre et le Mouton
Une Chèvre, un Mouton, avec un Cochon gras,
Montés sur même char s’en allaient à la foire :
Leur divertissement ne les y portait pas ;
On s’en allait les vendre, à ce que dit l’histoire :
Le Charton [[Vieux mot qui signifiait autrefois un cocher ou celui qui menait un char ou une charrette (Furetière)]] n’avait pas dessein
De les mener voir Tabarin.[[Antoine Girard, dit Tabarin : Bateleur, comédien qui fut identifié au personnage qu'il inventa dans ses farces.]]
Dom Pourceau criait en chemin
Comme s’il avait eu cent Bouchers à ses trousses.
C’était une clameur à rendre les gens sourds
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s’étonnaient qu’il criât au secours ;
Ils ne voyaient nul mal à craindre.
Le Charton dit au Porc : Qu’as-tu tant à te plaindre ?
Tu nous étourdis tous, que ne te tiens-tu coi ?
Ces deux personnes-ci plus honnêtes que toi,
Devraient t’apprendre à vivre, ou du moins à te taire.
Regarde ce Mouton ; a-t-il dit un seul mot ?
Il est sage. Il est un sot,
Repartit le Cochon : s’il savait son affaire,
Il crierait comme moi, du haut de son gosier,
Et cette autre personne honnête [[qui a pris l'air du monde, qui sait vivre (Furetière)]]
Crierait tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu’on les veut seulement décharger,
La Chèvre de son lait, le Mouton de sa laine.
Je ne sais pas s’ils ont raison ;
Mais quant à moi qui ne suis bon
Qu’à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit [[mon étable à cochons]] et ma maison.
Dom Pourceau raisonnait en subtil personnage :
Mais que lui servait-il ? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin ;
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.