Les Fables de Jean de La Fontaine
Corbeau (Le) voulant imiter l’Aigle
L'Oiseau de Jupiter [[le maître des Dieux (l'Aigle et l'Escarbot : II,8 v.14)]] enlevant un Mouton,
Un Corbeau témoin de l'affaire,
Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure autant faire.
Il tourne à l'entour du troupeau,
Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai Mouton de sacrifice :
On l'avait réservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard Corbeau disait, en le couvant des yeux :
Je ne sais qui fut ta nourrice ;
Mais ton corps me paraît en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.
Sur l'animal bêlant, à ces mots, il s'abat.
La moutonnière créature
Pesait plus qu'un fromage [[Des correspondances entre les Fables
commencent à s'établir ; ici, renvoi à la fable
II,1 : Le corbeau et le renard]] ; outre que sa toison
Etait d'une épaisseur extrême,
Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphème [[le cyclope Polyphème, fils de Poséidon, est
représenté par les poètes antiques, à la barbe hirsute]].
Elle empêtra si bien les serres du Corbeau,
Que le pauvre Animal ne put faire retraite.
Le Berger vient, le prend, l'encage bien et beau [[bel et bien]]
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.
Il faut se mesurer ; la conséquence est nette :
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L'exemple est un dangereux leurre.
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands Seigneurs :
Où la Guêpe a passé, le Moucheron demeure.